martes, 20 de marzo de 2012

GUILLAUME APOLLINAIRE: EL MÚSICO DE SAINT-MERRY

 




Al fin tengo derecho a saludar a seres que no conozco
Pasan ante mí y se aglomeran a lo lejos
Mientras que todo lo que de ellos veo me es desconocido
Y su esperanza no es menos fuerte que la mía


No canto a este Mundo ni a los demás astros
Canto todas las posibilidades de mí mismo fuera de este Mundo y de los astros
Canto la alegría de vagar y el placer de morir errante


El 21 del mes de mayo de 1913
Barquero de los muertos
Millones de moscas aventaban un esplendor
Cuando un hombre sin ojos sin nariz y sin orejas
Dejó el bulevar Sebastopol y entró en la calle Aubry-le-Boucher
El hombre era joven y moreno con las mejillas color de fresa


¡Hombre! Ah Ariadna
Tocaba la flauta y la música dirigía sus pasos
Se detuvo en la esquina de la calle Saint-Martin
Tocando la tonada que yo canto y que yo he inventado


Las mujeres que pasaban se detenían a su lado
Venían de todas partes
Cuando de pronto las campanas de Saint-Merry se pusieron a sonar
El músico dejó de tocar y bebió en la fuente
Que se halla en la esquina de la calle Simon-le-Franc
Luego Saint-Merry se calló


El desconocido volvió a tocar la flauta
Y volviendo sobre sus pasos caminó hasta la calle de la Verrerie
Donde entró seguido por el tropel de mujeres
Que salían de las casas
Llegaban de las calles laterales con los ojos idos
Con las manos tendidas hacia el melodioso raptor
Él se iba indiferente tocando su tonada


Se iba terriblemente


Luego en otra parte
A qué hora saldrá un tren hacia París


En ese momento
Los palomos de las Molucas ensuciaban algunas nueces moscadas
Al mismo tiempo
Misión católica de Bôma que has hecho del escultor


En otra parte
Ella atraviesa un puente que une a Bonn con Beuel y desaparece a través de Putzchen


Al mismo tiempo
Una joven enamorada del alcalde


En otro barrio
Rivaliza pues poeta con las etiquetas de los perfumistas


En suma oh reidores no habéis sacado gran cosa de los hombres
Apenas habéis extraído un poco de grasa de su miseria
Pero nosotros que morimos de vivir lejos uno de otro
Tendemos nuestros brazos y sobre esos rieles rueda un largo tren de mercancías
Y mientras el mundo vivía y cambiaba
El cortejo de mujeres largo como un día sin pan
Seguía en la calle de la Verrerie al feliz músico


Cortejos oh cortejos
Como antaño cuando el rey se iba a Vincennes
Cuando los embajadores llegaban a París
Cuando el delgado Suger se apresuraba hacia el Sena
Cuando el motín moría alrededor de Saint-Merry


Cortejos oh cortejos
Las mujeres desbordaban unas a otras tan grande era su número
Por todas las calles cercanas
Y se apresuraban rectas como una bala
Para seguir al músico
¡Ah! Ariadna y tú Pâquette y tú Amine
Y tú Mia y tú Simone y tú Mavise
Y tú Colette y tú la bella Geneviève
Han pasado temblorosas y vanas
Y sus pasos ligeros y apresurados seguían la cadencia
De la música pastoral que guiaba
Sus ávidas orejas


El desconocido se detuvo un momento ante una casa en venta
Casa abandonada
Con los cristales rotos
Es un edificio del siglo XVI
El patio sirve de aparcadero a coches de reparto
Allí entró el músico
Su música al alejarse se volvía lánguida
Las mujeres lo siguieron hasta la casa abandonada
Y allí todas entraron atropelladamente
Todas todas entraron sin volver la cabeza
Sin echar de menos lo que habían dejado
Lo que habían abandonado
Sin acordarse del día la vida y la memoria
Pronto no quedó nadie en la calle de la Verrerie
Excepto yo y un sacerdote de Saint-Merry
Ambos entramos en la vieja casa
Pero no encontramos allí a nadie


Cae la tarde
El ángelus suena en Saint-Merry
Cortejos oh cortejos
Es como antaño cuando el rey regresaba de Vincennes
Vino un tropel de gorreros
Llegaron vendedores de plátanos
Llegaron soldados de la guardia republicana
Oh noche
Rebaño de lánguidas miradas de mujeres
Oh noche
Tú mi dolor y mi espera vana
Oigo morir el son de una flauta lejana





Le musicien de Saint-Merry



J’ai enfin le droit de saluer des êtres que je ne connais pas
Ils passent devant moi et s’accumulent au loin
Tandis que tout ce que j’en vois m’est inconnu
Et leur espoir n’est pas moins fort que le mien


Je ne chante pas ce monde ni les autres astres
Je chante toutes les possibilités de moi-même hors de ce monde et des astres
Je chante le joie d’errer et le plaisir d’en mourir


Le 21 du mois de mai 1913
Passeur des morts et les mordonnantes mériennes
Des millions de mouches éventaient une splendeur
Quand un homme sans yeux sans nez et sans oreilles
Quittant le Sébasto entra dans la rue Aubry-le-Boucher
Jeune l’homme était brun et de couleur de fraise sur les joues


Homme Ah! Ariane
Il jouait de la flûte et la musique dirigeait ses pas
Il s’arrêta au coin de la rue Saint-Martin
Jouant l’air que je chante et que j’ai inventé


Les femmes qui passaient s’arrêtaient près de lui
Il en venait de toutes parts
Lorsque tout à coup les cloches de Saint-Merry se mirent à sonner
Le musicien cessa de jouer et but à la fontaine
Qui se trouve au coin de la rue Simon-Le-Franc
Puis saint-Merry se tut


L’inconnu reprit son air de flûte
Et revenant sur ses pas marcha jusqu’à la rue de la Verrerie
Où il entra suivi par la troupe des femmes
Qui sortaient des maisons
Qui venaient par les rues traversières les yeux fous
Les mains tendues vers le mélodieux ravisseur
Il s’en allait indifférent jouant son air


Il s’en allait terriblement


Puis ailleurs
À quelle heure un train partira-t-il pour Paris


À ce moment
Les pigeons des Moluques fientaient des noix muscades
En même temps
Mission catholique de Bôma qu’as-tu fait du sculpteur


Ailleurs
Elle traverse un pont qui relie Bonn à Beuel et disparait à travers Pützchen


Au même instant
Une jeune fille amoureuse du maire


Dans un autre quartier
Rivalise donc poète avec les étiquettes des parfumeurs


En somme ô rieurs vous n’avez pas tiré grand-chose des hommes
Et à peine avez-vous extrait un peu de graisse de leur misère
Mais nous qui mourons de vivre loin l’un de l’autre
Tendons nos bras et sur ces rails roule un long train de marchandises
Tu pleurais assise près de moi au fond d’un fiacre
Et maintenant
Tu me ressembles tu me ressembles malheureusement


Nous nous ressemblons comme dans l’architecture du siècle dernier
Ces hautes cheminées pareilles à des tours
Nous allons plus haut maintenant et ne touchons plus le sol
Et tandis que le monde vivait et variait
Le cortège des femmes long comme un jour sans pain
Suivait dans la rue de la Verrerie l’heureux musicien


Cortèges ô cortèges
C’est quand jadis le roi s’en allait à Vincennes
Quand les ambassadeurs arrivaient à Paris
Quand le maigre Suger se hâtait vers la Seine
Quand l’émeute mourait autour de Saint-Merry


Cortèges ô cortèges
Les femmes débordaient tant leur nombres était grand
Dans toutes les rues avoisinantes
Et se hâtaient raides comme balle
Afin de suivre le musicien
Ah! Ariane et toi Pâquette et toi Amine
Et toi Mia et toi Simone et toi Mavise
Et toi Colette et toi la belle Geneviève
Elles ont passé tremblantes et vaines
Et leurs pas légers et prestes se mouvaient selon la cadence
De la musique pastorale qui guidait
Leurs oreilles avides


L’inconnu s’arrêta un moment devant une maison à vendre


Maison abandonnée
Aux vitres brisées
C’est un logis du seizième siècle
La cour sert de remise à des voitures de livraisons
C’est là qu’entra le musicien
Sa musique qui s’éloignait devint langoureuse
Les femmes le suivirent dans la maison abandonnée
Et toutes y entrèrent confondues en bande
Toutes toutes y entrèrent sans regarder derrière elles
Sans regretter ce qu’elles ont laissé
Ce qu’elles ont abandonné
Sans regretter le jour la vie et la mémoire
Il ne resta bientôt plus personne dans la rue de la Verrerie
Sinon moi-même et un prêtre de saint-Merry
Nous entrâmes dans la vieille maison
Mais nous n’y trouvâmes personne


Voici le soir
À Saint-Merry c’est l’Angélus qui sonne
Cortèges ô cortèges
C’est quand jadis le roi revenait de Vincennes
Il vint une troupe de casquettiers
Il vint des marchands de bananes
Il vint des soldats de la garde républicaine
O nuit
Troupeau de regards langoureux des femmes
O nuit
Toi ma douleur et mon attente vaine
J’entends mourir le son d’une flûte lointaine




Guillaume Apollinaire, Ondes, Calligrammes 1918
En Selección poética
Trad. José Manuel López
Edicomunicación S.A., 1999
Fuente foto: epdlp 

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